21 septembre 2020, chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Versailles. Habannou S., plus connu sous le pseudo « Marvel Fitness », influenceur aux 150.000 abonnés sur YouTube, est condamné pour cyberharcèlement en meute.
Plus précisément, il est reconnu coupable de tous les chefs d’accusation suivants : « envoi de messages haineux, outrageants ou insultants ayant entraîné une dégradation des conditions de vie et une altération de la santé physique ou mentale des victimes », « envoi de messages malveillants réitérés en vue de troubler la tranquillité », et « violences sur avocat ».
La sanction est lourde : deux ans d’emprisonnement, dont un an ferme avec mandat de dépôt, assortis d’un sursis probatoire de trois ans avec interdiction de création et d’animation sur les réseaux sociaux, c’est plus que les réquisitions du Parquet.
Au cœur de cette affaire se trouve la question de liberté d’expression sur Internet, argument principal utilisé par la défense. Se posait ainsi la question de savoir dans quelle mesure les propos tenus par l’influenceur auprès de sa communauté étaient susceptibles d’être à l’origine d’un cyberharcèlement dit “en meute”.
Depuis le verdict, l’affaire fait beaucoup réagir, à la fois sur les réseaux sociaux et dans les médias, y compris dans le monde juridique, car elle est inédite à plusieurs titres.
Il s’agit d’une nouveauté d’abord au titre des faits poursuivis. Si le délit de harcèlement n’est pas nouveau, le cyberharcèlement restait jusqu’à présent rarement à l’origine d’une condamnation. La particularité de cette affaire réside dans l’incitation au harcèlement qui est reprochée à l’influenceur. En effet, au-delà des faits de cyberharcèlement dont il a lui-même été auteur, Habannou S. s’est surtout vu reprocher le fait d’avoir encouragé sa communauté à commettre le harcèlement. Cela pose la question de la responsabilité des influenceurs vis-à-vis de leur communauté : si le droit de la presse prévoit le régime de responsabilité des éditeurs, il n’existe pas en théorie de régime de responsabilité pour les influenceurs qui exhortent leur communauté à avoir telle ou telle attitude. En l’espèce, rares sont les abonnés de Marvel Fitness qui auraient envoyé des messages de manière répétée, il s’agit plutôt de milliers de personnes auteures d’un seul message malveillant. Indubitablement, ce jugement fait jurisprudence quant à la caractérisation de l’élément matériel du délit de cyberharcèlement, qui réside dans les envois de messages haineux ou malveillants, Habannou S. n’en étant pas le seul auteur.
Une nouveauté ensuite en raison de la condamnation. Le Parquet avait requis douze mois d’emprisonnement, dont huit fermes. Si le caractère exceptionnel d’une condamnation plus sévère que les réquisitions du Parquet est déjà admis, une condamnation à une peine d’emprisonnement ferme avec mandat de dépôt pour des faits de cyberharcèlement l’est encore plus. De nombreux commentateurs de la décision ont d’ailleurs parlé de « fin de l’impunité » sur Internet. Cette condamnation présente effectivement le mérite d’affirmer que non, la cybercriminalité n’est pas une sous-criminalité, moins réprimée, le caractère « virtuel » du crime le rendant prétendument moins réel. De cela nous pouvons nous réjouir, à condition toutefois que la décision ne reste pas isolée et amorce vraiment le tournant vers une plus grande répression de ces faits qui, à l’ère du numérique, explosent. Face à la facilité et la banalisation de la violence sur Internet, il est bienvenu de voir une juridiction prendre la mesure de la gravité de ces délits.
Une nouveauté enfin en raison des suites médiatiques du verdict. Au cours de son réquisitoire, le Procureur a prédit « Je n'ai aucun doute quant au fait que la deuxième manche aura lieu dès la sortie de cette audience, sur ses sites ». Pouvait-il s’imaginer à quel point l’avenir lui donnerait raison ? Probablement pas. Une vague de violence s’est déchaînée, notamment sur Twitter, où le hashtag #FreeMarvel est resté en top tweets pendant plusieurs jours. Au-delà des seules réactions classiques à un procès médiatique, il convient de retenir deux conséquences majeures de ce jugement : l’absence de son caractère dissuasif auprès de la communauté Marvel Fitness, et la prise à parti des avocats. Loin d’avoir fait réagir les soutiens de Habannou S. sur la gravité des faits qui lui ont été reprochés, ceux-ci se sont adonnés à un nouveau déferlement de violence à l’encontre des victimes, notamment l’influenceuse belge Aline Dessine, qui a été menacée de mort à de nombreuses reprises car jugée principale responsable de la condamnation par la communauté du YouTubeur.
Cette affaire a également montré la confusion qui peut exister entre le rôle de l’avocat et ses convictions personnelles. Soulignons que l’avocat de Habannou S. a notamment créé un compte Twitter au lendemain du prononcé de la décision, sur lequel il n’a pas hésité à publier l’intégralité du dossier pénal afin d’interpeller la communauté de l’influenceur en cause, et ce bien qu’il ait annoncé au préalable interjeter appel du jugement, qui ne saurait donc être définitif. Si le compte en question a été rapidement supprimé, l’opportunité de cette publication pose question au regard des obligations déontologiques de l’avocat, au demeurant membre notoire de la communauté du YouTubeur en cause.
Les avocats des parties civiles ne sont pas en reste : si l’une d’elle présentait déjà la particularité d’être à la fois avocat des parties civiles et plaignante, en raison du harcèlement dont elle avait fait l’objet dans le cadre de cette affaire, les menaces à son encontre ont pris une ampleur considérable ces derniers jours. Elle a ainsi été la cible d’attaques ad hominem d’une particulière violence sur tous ses réseaux sociaux, qui ont atteint leur paroxysme lorsqu’elle a reçu des messages la menaçant de viol et de mort et menaçant également sa famille.
De telles actions sont particulièrement symptomatiques de l’incompréhension qui grandit entre une certaine partie de la société et les avocats, surtout sur les réseaux sociaux, alors que nous ne rappellerons jamais assez que ce dernier exerce ses fonctions avec indépendance et ne saurait être assimilé aux faits reprochés à son client.
En définitive, les enseignements de cette affaire sont nombreux, tant d’un point de vue juridique que sociétal. Il est toutefois particulièrement inquiétant de voir à quel point le progrès dans le traitement de la cybercriminalité par l’institution judiciaire ne semble pas toucher positivement une partie des Internautes, qui y voit de façon assez paradoxale une limite illégitime à la liberté d’expression, se traduisant par une dangereuse mise en cause de l’ensemble des parties prenantes.
Pour aller plus loin :
Rapport d'Amnesty International sur le cyberharcèlement sur Twitter, septembre 2020.
Les chiffres du cyberharcèlement en France, L'ADN, février 2020.
Ce que l'affaire Marvel Fitness change pour le cyberharcèlement, Numerama, septembre 2020.
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