Le monde de l’enfance se révèle souvent complexe, et parfois même tyrannique. Intimidation, insultes, propagation de rumeurs, rejet, racket, violences physiques ou psychologiques, les élèves sont capables entre eux d’actes humiliants et difficilement détectables tant ces comportements sont par nature dissimulés, voire insidieux. Le harcèlement en milieu scolaire existe depuis de trop nombreuses années. Il emprunte désormais de nouveaux modes opératoires. L’usage croissant des technologies de communication (smartphone, réseaux sociaux notamment) dès le plus jeune âge expose en effet les enfants à de nouvelles formes de harcèlement en ligne ou hors ligne facilitées par ces technologies. Le « cyberharcèlement » constitue ainsi un des premiers risques auquel un enfant est exposé à l’école et sur internet. Dans ces circonstances, il devient primordial d’étudier comment ces agissements peuvent être évités ou réprimés, afin d’accompagner et de protéger les personnes visées.
Cet article se propose de revenir sur cette réalité sociale urgente, ainsi que sur les instruments juridiques – les mesures préventives tout comme les mesures répressives – permettant de lutter contre ces pratiques néfastes.
Du harcèlement au cyberharcèlement scolaire
En France, chaque année ce sont plus de 700 000 enfants qui seraient victimes de harcèlement scolaire. Des études récentes dénombrent ainsi que le harcèlement touche environ 12% des élèves du primaire, 10% des collégiens et 4% des lycéens avec des conséquences plus ou moins graves. Parmi celles-ci, le décrochage scolaire qui peut aller jusqu’à la déscolarisation, l’anxiété ou des conduites autodestructrices (mutilation, suicide). De manière générale ce sont des comportements qui mènent à l’exclusion d’un enfant par rapport au groupe. En outre, le harcèlement cible plus spécifiquement des enfants fragiles, timides ou qui sont discriminés en raison, entre autres, de leur physique, de leur orientation sexuelle, ou encore de leurs origines.
Il s’agit malheureusement d’une réalité profondément ancrée dans les interactions sociales humaines. Dans La crise de la culture, Hannah Arendt dépeignait déjà avec minutie ces relations de pouvoirs entre enfants et adultes. La philosophe décrivait ainsi qu'il existe une société formée entre les enfants dans laquelle ceux-ci interagissent et se gouvernent dans la mesure du possible de manière autonome. Dans ce contexte, c’est le groupe des enfants qui détiendrait l’autorité et non plus l’adulte. Ce monde de l’enfant n’est pas sans conséquence : « Quant à l'enfant dans ce groupe, il est bien entendu dans une situation pire qu'avant, car l'autorité d'un groupe, fût-ce un groupe d'enfants, est toujours beaucoup plus forte et beaucoup plus tyrannique que celle d'un individu, si sévère soit-il ». Pour Arendt, cette tyrannie du groupe envers l’enfant s’explique :
« Affranchi de l'autorité des adultes, l'enfant n'a donc pas été libéré, mais soumis à une autorité bien plus effrayante et vraiment tyrannique : la tyrannie de la majorité. Ils sont soit livrés à eux-mêmes, soit livrés à la tyrannie de leur groupe, contre lequel, du fait de sa supériorité numérique, ils ne peuvent se révolter, avec lequel, étant enfants, ils ne peuvent discuter, et duquel ils ne peuvent s'échapper pour aucun autre monde, car le monde des adultes leur est fermé. Les enfants ont tendance à réagir à cette contrainte soit par le conformisme, soit par la délinquance juvénile, et souvent par un mélange des deux. »
Précisément, le harcèlement scolaire est caractérisé lorsqu’un élève fait subir à un autre, de manière répétée, des propos ou des comportements agressifs. Il peut s’agir de comportements répétés, variés et commis avec l’intention de nuire tels que des moqueries, des insultes, des menaces ou de l’intimidation qu’ils se soient déroulés dans ou en dehors de l’enceinte scolaire.
Avec le développement des nouvelles technologies, et leur diffusion parmi les jeunes enfants, ces derniers ont à leur disposition de nombreux outils pour transposer les pratiques de harcèlement classique au domaine informatique ou pour les prolonger en dehors de l’enceinte de l’établissement scolaire. Selon une étude de 2018, si 34% des élèves de CM2 disposent d’un téléphone, c’est 63% des élèves de 6ème qui en sont équipés. Ces chiffres croitront d'ailleurs très certainement, à mesure que les salles de classes seront davantage équipées en tablettes et autres nouveaux outils numériques. Ces technologies offrent dès lors de nouvelles possibilités de harcèlement, via les réseaux sociaux, les blogs, les forums de jeux vidéo, par la prise d’une photo, d’une vidéo à l’insu d’un élève, et par la menace de diffusion rendue plus angoissante du fait de l’ubiquité et de l’instantanéité permises par ces moyens de communication. La possibilité d’agir en ayant recours à un pseudonyme peut compliquer l’identification des personnes responsables et alimente par ailleurs un sentiment d’impunité ainsi qu’une forme de déresponsabilisation. Inversement, la diffusion de messages instantanés peut être massive et potentiellement difficile à endiguer. La spécificité du cyberharcèlement est qu’il existe désormais un continuum entre les agissements en ligne et hors ligne. D’une part, certains actes de harcèlement en milieu scolaire peuvent se prolonger à distance, en ligne, c’est-à-dire alors même que l’enfant n’est plus à l’école, exposant les enfants au risque d’être constamment vulnérables. D’autre part, quand bien même le harcèlement cesse, certains contenus demeurent parfois en ligne. Dès lors, comment lutter contre ce phénomène ? La loi française prévoit un ensemble de mesure préventives et répressives.
Des mesures préventives
Les établissements scolaires sont responsables de la sécurité et de la santé de leurs élèves. Ils sont donc astreints à certaines obligations préventives en matière de harcèlement en ligne. Ainsi, l’article L.511-3-1 du Code de l’éducation dispose que «aucun élève ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale ». Cette disposition impose donc aux établissements qu’ils mettent en place des moyens permettant d’empêcher qu’un élève soit victime de harcèlement, y compris cyber, de la part d’un ou de plusieurs autres.
Plus précisément, les établissements ont l’obligation d’établir un plan de prévention et un programme d’action qui peuvent inclure la formation d’une équipe interne en charge de la lutte contre le harcèlement ou de campagnes de formation du personnel. L’article R.421-20 du Code de l’éducation prévoit que le conseil d’administration, sur rapport du chef d’établissement, adopte un plan de prévention de la violence, qui inclut notamment un programme d'action contre toutes les formes de harcèlement.
Cependant, comme le cyberharcèlement est parfois commis à distance, ces mesures qui sont mises en œuvre au sein de l’établissement risquent de ne pas avoir un effet dissuasif suffisant. Il est donc nécessaire de les compléter. En effet, il est tout aussi important de sensibiliser les élèves et les adultes (parents et équipe éducative) sur l’utilisation responsable de ces technologies. En ce sens, l’article L.312-9 du Code de l’éducation dispose que « la formation à l'utilisation responsable des outils et des ressources numériques est dispensée dans les écoles et les établissements d'enseignement […]. Elle comporte une éducation aux droits et aux devoirs liés à l'usage de l'internet et des réseaux, dont la protection de la vie privée […] et de la dignité de la personne humaine, ainsi qu'aux règles applicables aux traitements de données à caractère personnel. Elle contribue […] à la lutte contre la diffusion des contenus haineux en ligne et à l'apprentissage de la citoyenneté numérique. Cette formation comporte également une sensibilisation sur l'interdiction du harcèlement commis dans l'espace numérique, la manière de s'en protéger et les sanctions encourues en la matière. ». La sensibilisation des enfants, très tôt dans leur parcours scolaire permettrait de s’assurer qu’ils intègrent ces pratiques respectueuses. Le cas échéant, à défaut d’avoir pu empêcher la commission de ces actes, le droit permet de les sanctionner.
Des mesures répressives
Les mesures répressives pallient d’une part les insuffisances des mesures préventives en sanctionnant les faits de harcèlement mais peuvent d’autre part renforcer ces dernières en ce qu’elles dissuadent les individus de commettre de tels actes. En effet, les faits de cyberharcèlement peuvent faire l’objet de lourdes sanctions. Comme il n’existe pas de texte incriminant spécifiquement le cyberharcèlement scolaire, ces comportements tombent sous le coup du texte pénal incriminant le harcèlement.
En ce sens, l’article 222-33-2 du Code pénal punit de deux ans d’emprisonnement et 30 000€ d’amende :
« le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
La loi prévoit une peine plus lourde lorsque les faits sont commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique (article 222-33-2-2 du Code pénal). L’utilisation de technologies peut donc constituer une circonstance aggravante.
Le texte énonce par ailleurs que l’infraction peut être caractérisée, en l’absence de caractère répété, lorsque les propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes de manière concertée. Ce qui est souvent associé au phénomène de « harcèlement de meute ».
Ainsi, dans le cas où un élève fait l’objet de moqueries en ligne par ses camarades de classe, les conditions dans lesquelles il est amené à travailler au sein de l’établissement scolaire sont nécessairement dégradées du fait de la proximité avec les auteurs des moqueries. Le texte sur le harcèlement pourra donc s’appliquer et cela même en l’absence de caractère répété à condition que les atteintes soient portées de façon concertée.
Ces comportements sont susceptibles d’autres qualifications pénales, notamment relatives à la violation de la vie privée. En ce sens, la captation d’images d’une personne se trouvant dans un lieu privé, ou de paroles prononcées dans un cadre privé ou leur transmission, en l’absence de tout consentement est réprimé par l’article 226-1 du code pénal et punie d’un an d’emprisonnement et 45 000€ d’amende.
Plus grave encore lorsque les images ou paroles captées présentent un caractère sexuel l’article 226-2-1 du code pénal sanctionne la diffusion non voulue de ces images pourtant captées avec le consentement de la victime Ces faits, qui visent les cas de «revenge porn », sont alors punis de deux ans d’emprisonnement et 60 000€ d’amende et la sanction peut être aggravée lorsque la victime est mineure de 15 ans.
Certains comportements peuvent encore relever de la provocation au suicide. L’article 223-13 du code pénal prévoit ainsi que : « Le fait de provoquer au suicide d'autrui est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d'une tentative de suicide. Les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende lorsque la victime de l'infraction définie à l'alinéa précédent est un mineur de quinze ans ».
Enfin, en cas de piratage de comptes de messagerie ou de réseaux sociaux, il est également possible de déposer plainte sur le fondement de l’article 323-1 et suivants du Code pénal pour introduction dans des systèmes d’informations ou de modification de données. Le délit d’usurpation d’identité prévu et réprimé par l’article 226-4-1 du Code pénal pourrait également être concerné.
Cependant, il est important de préciser que les enfants qui commettent des faits de cyberharcèlement risquent rarement d’être condamnés aux peines de prison énoncées par ces textes. En effet, les cas de cyberharcèlement étant les plus nombreux au primaire, les auteurs ont donc souvent moins de 12 ans. Ainsi en matière pénale, les enfants de moins de 10 ans pourront se voir imposer des mesures éducatives (remise aux parents, placement dans un établissement d’éducation, admonestation etc.). Les enfants qui ont entre 10 et 13 ans pourront se voir imposer en plus, des sanctions éducatives (avertissement solennel, stage obligatoire, etc.) mais aussi une peine de prison qui ne peut excéder la moitié du maximum prévu par un majeur. Pour les lycéens de plus de 16 ans et moins de 18 ans, toutes ces mesures précédentes pourront s’appliquer et en cas exceptionnel, une peine de prison supérieure à la moitié de la peine prévue pour un adulte pourra aussi être prononcée.
Quelles solutions pour l’avenir ?
L’arsenal pénal ne pourrait suffire à lutter contre le cyberharcèlement. La sensibilisation et la formation des acteurs de la vie scolaire (élèves, parents et membres des équipes éducatives) est indispensable. Ainsi, le 13 octobre 2020, le rapport de mission gouvernementale menée par Erwan Balanant « Comprendre et combattre le harcèlement scolaire », fait état de 120 propositions devant permettre de lutter contre le harcèlement scolaire. Ces propositions se structurent autour de plusieurs pôles d’efforts à mener, notamment former les adultes, des psychologues et sensibiliser les enfants à l’empathie et la tolérance. Ce rapport préconise également de punir plus sévèrement le harcèlement scolaire et de porter à deux ans la durée pendant laquelle un avertissement est présent sur le dossier administratif de l’élève.
Le document prévoit encore de constituer dans les établissements une équipe formée à la prise en charge des situations de harcèlement : un guide de sensibilisation pour les parents, dix heures d’apprentissage sur la question du harcèlement pour les élèves. Renforcer le recours au numéro gratuit d’écoute « 3020 » et renforcer les moyens alloués à l’association « l’école des parents » qui gère ce service. Ces propositions semblent aller dans le bon sens en ce qu’elles mettent l’accent sur la sensibilisation et la formation qui ciblent la prévention des faits et non pas sur les sanctions des comportements a posteriori.
Enfin, la question se pose de savoir comment intégrer d’autres acteurs majeurs dans la lutte contre le cyberharcèlement scolaire comme les plateformes numériques à qui il est possible, dans certaines conditions, de demander à ce que les contenus litigieux soient supprimés. La régulation de la haine en ligne fait actuellement l’objet d’importants débats sur des projets de textes en France et au sein de l’Union européenne. Les discussions autour du projet de directive Digital Service Act, paru le 15 décembre 2020, et sa transposition en droit français devront donc être suivis de très près.
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Adrien Basdevant, Thomas Baculard
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